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Nouvelair : l'incident à Nice révèle des soupçons de corruption

Un incident aérien évité de justesse à Nice met en lumière de graves accusations de corruption visant la compagnie tunisienne Nouvelair et ses actionnaires.

Antoine Perrault
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Antoine Perrault

Journaliste spécialisé dans les affaires judiciaires et la criminalité financière. Antoine Perrault couvre les grands procès et les enquêtes complexes, décryptant les rouages de la justice pour le grand public.

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Nouvelair : l'incident à Nice révèle des soupçons de corruption

Un incident aérien évité de justesse à l'aéroport de Nice le 21 septembre a mis en lumière de graves accusations de corruption et de mauvaise gouvernance visant la compagnie tunisienne Nouvelair. Un lanceur d'alerte français, soutenu par l'avocat William Bourdon, a dénoncé des pratiques qui pourraient faire l'objet d'une enquête du Parquet National Financier (PNF) en France.

Les allégations visent directement la structure actionnariale de la compagnie, impliquant des personnalités déjà sous le coup de poursuites judiciaires en Tunisie et en France. Cet événement soulève des questions sur la conformité de la compagnie avec les réglementations européennes et françaises.

Points Clés

  • Un incident aérien à Nice met en lumière des problèmes de gouvernance chez Nouvelair.
  • Des accusations de corruption, de blanchiment d'argent et de détournement de fonds publics pèsent sur des actionnaires majeurs.
  • Le Parquet National Financier (PNF) en France pourrait être saisi du dossier.
  • Un partenaire français de maintenance est également mis en cause pour non-respect de la loi Sapin II.
  • Des questions se posent sur l'impact de ce contexte sur la sécurité des opérations de la compagnie.

L'incident de Nice comme élément déclencheur

Le dimanche 21 septembre 2025, une collision a été évitée de justesse sur le tarmac de l'aéroport Nice Côte d'Azur. L'événement a immédiatement déclenché une enquête du Bureau d'Enquêtes et d'Analyses pour la sécurité de l'aviation civile (BEA). Les enquêteurs sont actuellement mobilisés pour analyser les boîtes noires et recueillir les témoignages de l'équipage et du personnel au sol.

Cependant, au-delà de l'aspect technique de l'enquête, cet incident a attiré l'attention sur la situation interne de la compagnie aérienne tunisienne Nouvelair. Un professionnel français du secteur aéronautique, connaissant bien l'entreprise, a décidé de prendre la parole en tant que lanceur d'alerte. Il dénonce ce qu'il qualifie de « mauvaises pratiques » et une gouvernance « contaminée » par des affaires judiciaires complexes.

Une action judiciaire envisagée en France

Accompagné par Me William Bourdon, avocat réputé du barreau de Paris, le lanceur d'alerte a formalisé un signalement qui pourrait être transmis au Parquet National Financier (PNF). Cette juridiction spécialisée dans les affaires de grande délinquance économique et financière est jugée compétente en raison des ramifications françaises du dossier.

Le signalement se concentre sur l'actionnaire majoritaire de Nouvelair, le groupe Tunisia Travel Service (TTS). Le président de ce groupe, Karim Milad, est déjà visé par des procédures judiciaires en Tunisie et en France pour des faits présumés de « corruption, blanchiment d'argent et détournement de fonds publics ».

Mesures judiciaires contre le dirigeant

Selon les informations disponibles, Karim Milad a déjà été révoqué de la présidence de Nouvelair par une décision de justice. De plus, il fait l'objet d'une interdiction de quitter le territoire tunisien dans le cadre des enquêtes en cours.

Une structure actionnariale sous tension

La gouvernance de Nouvelair semble profondément affectée par la situation judiciaire de ses principaux actionnaires. Le lanceur d'alerte décrit un climat de déstabilisation qui pourrait avoir des conséquences sur le fonctionnement global de l'entreprise.

Le groupe TTS, qui détient environ 47 % des parts de Nouvelair, a été placé sous séquestre judiciaire par le gouvernement tunisien. Neuf administrateurs ont été nommés pour superviser sa gestion. Cette mesure exceptionnelle témoigne de la gravité des faits reprochés.

Des actionnaires recherchés par la justice

La situation est encore compliquée par la structure du capital restant. Une part significative de 25 % du capital a été saisie par les autorités judiciaires tunisiennes. Ces parts appartenaient à Belhassen Trabelsi, beau-frère de l'ancien président tunisien Zine el-Abidine Ben Ali.

En fuite à l'étranger et faisant l'objet d'une fiche de recherche Interpol, Belhassen Trabelsi se serait réfugié à Nice. Il avait été arrêté une première fois à Villeneuve-Loubet en 2019, puis incarcéré à Marseille avant d'être libéré. Le 23 septembre 2025, la justice tunisienne l'a condamné par contumace à quatre ans de prison ferme pour une affaire de prêts bancaires obtenus sans garanties.

Les implications pour les partenaires européens

Le lanceur d'alerte insiste sur le fait que la situation de Nouvelair contrevient aux réglementations européennes. Il souligne que « les directives européennes exigent une gestion saine et une gouvernance transparente pour tout transporteur opérant dans l’UE ».

La loi Sapin II en question

La loi française dite « Sapin II », relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, est au cœur des préoccupations. Cette loi interdit aux entreprises françaises de maintenir des relations commerciales avec des sociétés impliquées dans des faits de corruption avérés.

Sur la base de cette législation, une action en justice est également en préparation contre un partenaire français de Nouvelair. Il s'agit d'un prestataire de services qui assure la maintenance des avions de la compagnie tunisienne. Le nom de ce groupe n'a pas été divulgué pour le moment.

« Ce groupe aéronautique hexagonal est aujourd'hui en infraction en maintenant cette relation avec Nouvelair », estime le lanceur d'alerte. Les risques encourus sont importants : une pénalité pouvant atteindre 1 million d'euros et une possible exclusion des marchés publics.

Quel impact sur la sécurité aérienne ?

Bien qu'il n'existe à ce stade aucun lien direct et prouvé entre les affaires judiciaires et l'erreur de pilotage survenue à Nice, le lanceur d'alerte exprime de vives inquiétudes. Il estime que cet environnement instable et les scandales de gouvernance peuvent avoir un impact négatif sur le moral du personnel navigant et des équipes au sol.

Ces préoccupations ont été transmises à la direction de l'aéroport de Nice. Cette dernière a accusé réception du signalement, mais a considéré l'alerte comme « clôturée » dans son dispositif interne. La raison invoquée est que les faits étaient déjà connus des autorités compétentes, notamment la Direction Générale de l'Aviation Civile (DGAC), l'Agence Européenne de la Sécurité Aérienne (AESA) et le PNF.

Le lanceur d'alerte, qui affirme avoir déjà subi des représailles en Tunisie pour ses dénonciations, espère désormais que l'incident de Nice servira d'électrochoc. Il souhaite que l'AESA, connue pour sa vigilance, se saisisse pleinement du dossier pour évaluer les risques potentiels pour la sécurité des passagers. Pendant ce temps, une partie de la presse tunisienne a présenté le pilote comme un « héros », rejetant la faute sur la tour de contrôle niçoise, une version des faits que l'expert français juge « catastrophique » au vu de la gravité de l'erreur commise.