Un projet scientifique ambitieux explore la possibilité de réintroduire l'ange de mer, un requin plat aujourd'hui disparu de la Côte d'Azur, dans les eaux de la Baie des Anges à Nice. Cette initiative ravive un pan entier de l'histoire locale et soulève des questions écologiques majeures sur la restauration des écosystèmes marins.
Autrefois abondante au point de donner son nom à la célèbre baie, cette espèce, classée en danger critique d'extinction, n'a plus été observée dans la région depuis plus de 70 ans. Des chercheurs et des responsables locaux débattent désormais de la meilleure stratégie pour favoriser son retour.
Points Clés
- Des scientifiques étudient la réintroduction de l'ange de mer (*Squatina*) dans la Baie des Anges, à Nice.
- Ce requin plat, qui a donné son nom à la baie, a disparu des côtes niçoises au milieu du XXe siècle.
- L'espèce est classée "en danger critique d'extinction" en Méditerranée par l'UICN.
- Le débat porte sur une réintroduction active (lâcher de spécimens) ou passive (protection de l'habitat).
- Des spécimens historiques conservés au Muséum d'histoire naturelle de Nice confirment sa présence passée.
Un symbole niçois disparu
Le lien entre Nice et l'ange de mer, ou pei ange en provençal, est profondément ancré dans la culture locale. Selon la tradition, ce sont les pêcheurs niçois qui, en remontant leurs filets remplis de ces créatures aux nageoires pectorales semblables à des ailes, auraient baptisé la baie.
"Selon l’histoire locale, ce sont des pêcheurs niçois qui auraient donné ce nom à notre baie, en raison des très nombreux anges de mer ramenés dans leurs filets à cet endroit", explique Daniel Moatti, chercheur associé à l'université Nice Côte d'Azur. Cette abondance passée contraste fortement avec la situation actuelle.
Depuis le milieu du XXe siècle, l'ange de mer a complètement disparu des radars sur la Côte d'Azur. Les plongeurs, même les plus expérimentés, ne l'ont jamais croisé. "Ça fait 30 ans que je plonge, et malheureusement, je n’en ai jamais vu", confie un professionnel du port de Nice. Le constat est le même chez les pêcheurs. Jean-Louis Constanzia, dont la famille pêche au Cros-de-Cagnes depuis quatre générations, n'en a jamais capturé depuis ses débuts en 1976, bien qu'il se souvienne des récits de son père qui en prenait régulièrement.
Les traces d'une présence passée
Pour trouver la preuve irréfutable de l'existence de l'ange de mer à Nice, il faut se tourner vers le passé, conservé au Muséum d'histoire naturelle de la ville. Le directeur, Olivier Gerriet, présente un bocal contenant cinq bébés requins, légués par un pêcheur en 1820.
Des preuves conservées depuis 1820
Le Muséum d'histoire naturelle de Nice détient non seulement des spécimens de jeunes anges de mer dans le formol datant de 1820, mais aussi trois individus adultes empaillés. Ces pièces constituent des témoignages physiques précieux de la biodiversité passée de la Baie des Anges.
Des écrits de naturalistes niçois du XIXe siècle confirment également cette présence. En 1826, Antoine Risso notait que l'ange de mer était commun durant les fortes chaleurs, mais que sa chair, "sans aucun goût", était peu appréciée. En 1862, Jean-Baptiste Vérany décrivait l'utilisation de sa peau, "très rude", pour polir des objets, à la manière du papier de verre.
Ces témoignages historiques sont cruciaux pour les scientifiques qui tentent de comprendre quelle espèce exacte peuplait la baie. Trois espèces d'anges de mer coexistent en Méditerranée : l'ange de mer commun (*Squatina squatina*), l'ange de mer ocellé (*Squatina oculata*) et l'ange de mer épineux (*Squatina aculeata*). Les spécimens du musée suggèrent qu'il s'agissait principalement de ce dernier, mais des recherches plus approfondies sont nécessaires.
Pourquoi a-t-il disparu ?
La principale cause de la disparition de l'ange de mer est liée à ses habitudes de vie. C'est un poisson benthique, ce qui signifie qu'il vit sur les fonds marins, préférant les sols sablonneux ou vaseux. Il s'y enterre pour chasser ses proies en embuscade, un comportement similaire à celui des raies.
Une victime du chalutage de fond
Le chalutage de fond, une technique de pêche où un grand filet est traîné sur le plancher océanique, s'est intensifié au XXe siècle. Cette pratique est particulièrement dévastatrice pour les espèces benthiques comme l'ange de mer. Incapable d'échapper aux filets, il a été une victime collatérale fréquente de cette pêche non sélective, ce qui a conduit à l'effondrement de ses populations.
La dégradation de son habitat côtier et les effets du changement climatique sont également cités comme des facteurs aggravants. Cette pression combinée a conduit l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) à classer l'espèce comme étant en danger critique d'extinction.
Un retour est-il possible ?
L'espoir d'un retour a été ravivé par une observation inattendue en 2020 au large de la Corse. Cette découverte a prouvé que l'espèce n'avait pas totalement disparu des eaux françaises de la Méditerranée, stimulant les discussions sur sa réintroduction à Nice.
La communauté scientifique est cependant divisée sur la méthode à adopter. Deux approches s'opposent :
- La restauration active : Elle consisterait à élever des anges de mer en captivité puis à les relâcher directement dans la Baie des Anges.
- La restauration passive : Cette stratégie mise sur la protection et la restauration de l'habitat naturel pour que l'espèce revienne d'elle-même.
Aurore Asso, championne d'apnée et subdéléguée au littoral pour la ville de Nice, penche pour la seconde option. "Il faut d’abord faire en sorte que la nature retrouve ses droits par elle-même", affirme-t-elle. Selon elle, la création d'une aire marine protégée efficace pourrait permettre le retour des prédateurs, y compris l'ange de mer, d'ici une dizaine d'années.
"Quoi qu’il en soit, c’est un rêve qu’on a tous de voir ce requin revenir, pour enfin redonner à la Baie des anges ses lettres de noblesse. C’est un très beau symbole, qui témoigne du lien entre l’homme et la mer à Nice."
– Aurore Asso, subdéléguée au littoral à la ville de Nice
Le retour de l'ange de mer ne serait pas seulement une victoire écologique, mais aussi une reconnexion avec une part importante de l'identité et de l'histoire de Nice. Le projet, encore à ses débuts, symbolise un espoir de réparation des erreurs du passé et de restauration de la richesse biologique de la Méditerranée.





