La consommation de protoxyde d'azote, communément appelé "gaz hilarant", connaît une augmentation alarmante à Nice, particulièrement depuis la période post-pandémique. Ce phénomène, loin d'être anodin, représente un grave problème de santé publique et de sécurité, alimentant un trafic de plus en plus organisé et lucratif.
Détourné de son usage industriel initial, ce gaz est désormais inhalé pour ses effets euphorisants éphémères, exposant les consommateurs, souvent jeunes, à des risques neurologiques et physiques dévastateurs. Face à cette situation, les autorités municipales tentent de riposter, mais se heurtent aux limites de la législation actuelle.
Points Clés
- La consommation de protoxyde d'azote à des fins récréatives a explosé à Nice, touchant toutes les couches de la population.
- Les risques pour la santé sont graves : troubles neurologiques, embolies pulmonaires, accidents cérébraux et même décès.
- Un trafic illégal très rentable s'est développé, parfois plus lucratif que celui de la drogue.
- La municipalité de Nice a pris un arrêté pour interdire la vente, mais la loi nationale reste insuffisante pour endiguer le phénomène.
Un danger sanitaire sous-estimé
L'inhalation de protoxyde d'azote n'est pas un jeu. Les professionnels de santé tirent la sonnette d'alarme sur les conséquences potentiellement irréversibles de cette pratique. Le détournement de ce produit, initialement utilisé en cuisine pour les siphons à chantilly ou dans le secteur médical, est devenu un véritable fléau.
Le docteur Hervé Caël, président de l’Ordre des médecins en région Sud, souligne la gravité de la situation. Il évoque des risques aigus qui peuvent survenir même après une seule consommation importante.
« Un mésusage implique des risques aigus : pertes de mémoire, embolies pulmonaires, accidents cérébraux, etc. On peut en mourir, même en étant très jeune, ou connaître de graves séquelles. »
Les chiffres nationaux confirment cette inquiétude. Selon Santé Publique France, les cas graves d'addiction liés au protoxyde d'azote ont été multipliés par quatre ces dernières années. Une tendance qui ne semble pas s'inverser.
Le "proto" en chiffres
- 80% des cas graves d'addiction impliquent d'importants troubles neurologiques.
- 1 cas sur 10 concerne des mineurs.
- Le phénomène touche désormais tous les quartiers et toutes les catégories sociales.
Des conséquences qui dépassent la santé individuelle
Au-delà des drames personnels, la consommation de gaz hilarant engendre des nuisances pour l'ensemble de la collectivité. Les rues de Nice sont jonchées de cartouches et de bonbonnes métalliques vides chaque matin, un fardeau supplémentaire pour les services de propreté.
Ces déchets posent également un risque industriel. Pierre Buisson, de la Cellule d’Intervention Mutualisée (C.I.M.) de la police municipale, explique le danger : « Si une bonbonne de ce gaz est mélangée avec les déchets habituels et termine dans nos fours de valorisation, elle peut exploser. » Un tel incident pourrait paralyser l'usine de traitement des déchets, avec un coût estimé à 100 000 euros par jour d'arrêt pour le contribuable.
Un trafic plus rentable que la drogue
La facilité d'accès et la forte demande ont fait du protoxyde d'azote un marché noir extrêmement profitable. Les réseaux criminels ont rapidement investi ce créneau, profitant d'une législation moins répressive que pour les stupéfiants traditionnels.
« Le protoxyde d’azote est un composé industriel », rappelle Pierre Buisson. « Mais, détourné, il peut être employé à la manière d’un produit stupéfiant. Ce marché est d’ailleurs parfois encore plus rémunérateur [que celui de la drogue], au vu des marges pratiquées. »
Les forces de l'ordre, notamment la C.I.M. de Nice, sont en première ligne pour traquer les revendeurs. Leurs interventions ciblent principalement les épiceries de nuit, qui servent souvent de façade pour ce commerce illégal.
Des stratégies de vente bien rodées
Les trafiquants font preuve d'ingéniosité pour déjouer les contrôles. Une tactique courante consiste à dissocier la vente des accessoires de celle du gaz lui-même.
« Nous avons mis la main sur une quantité de ballons gonflables dans certaines épiceries de nuit, mais pas sur du gaz hilarant », détaille Pierre Buisson. Il soupçonne un mode opératoire précis : « Nous pensons que ces ballons sont vendus au comptoir, et le protoxyde dans la rue, depuis une voiture sans lien administratif avec le patron. Comme ça, la police ne peut pas la fouiller. »
Cette méthode permet aux gérants de nier toute implication directe, compliquant ainsi le travail des enquêteurs qui se heurtent aux limites de leurs compétences légales.
La difficile riposte des autorités locales
Face à l'ampleur du phénomène, la municipalité de Nice a décidé d'agir. Depuis le 1er octobre, un arrêté municipal interdit la vente de protoxyde d'azote aux mineurs comme aux adultes sur le territoire de la commune. Seuls les professionnels pouvant justifier d'un usage légitime peuvent s'en procurer.
Que dit l'arrêté municipal ?
L'arrêté pris par la Ville de Nice vise à couper les circuits d'approvisionnement légaux qui sont détournés. Il interdit la vente au détail à toute personne ne pouvant présenter un justificatif professionnel (Kbis, carte d'artisan, etc.) prouvant un besoin lié à son activité. Cette mesure locale vise à combler un vide juridique national.
Cependant, l'application de cette mesure reste un défi. Anthony Borré, premier adjoint au maire, dénonce les limites de l'arsenal législatif. « La police municipale doit mener un grand nombre de contrôles, entamer des procédures [...] pour obtenir des fermetures administratives. Très temporaires, parce que la loi en vigueur reste faible. »
Certains commerces, déjà sanctionnés à plusieurs reprises pour diverses infractions, continuent leurs activités après de courtes fermetures, illustrant l'impuissance relative des autorités locales face à des délinquants déterminés.
L'urgence d'une réponse nationale
Les élus locaux et les professionnels de la sécurité s'accordent sur un point : la solution doit venir de l'État. La France est jugée en retard par rapport à certains de ses voisins européens, comme la Belgique, qui considèrent le protoxyde d'azote comme un stupéfiant et le répriment en conséquence.
L'eurodéputé Laurent Castillo insiste sur la nécessité de sanctions plus dissuasives. « Si les forces de l’ordre interviennent sans que des sanctions suivent, ça ne sert à rien. Les jeunes l’ont intégré et se sentent intouchables. À un moment, il n’y aura que la punition qui permettra de changer les choses. »
Sans une loi nationale plus stricte, classifiant clairement le détournement du protoxyde d'azote comme une infraction grave et donnant plus de moyens aux forces de l'ordre, le combat mené par des villes comme Nice risque de rester un effort constant mais insuffisant face à un fléau qui continue de s'étendre.





