Un syndicat de police des Alpes-Maritimes dresse un tableau préoccupant de la situation sécuritaire locale, contrastant avec les bilans officiels. Julien Hausknecht, secrétaire général d'Alliance Police Nationale 06, met en lumière une délinquance de plus en plus jeune, l'emprise du narcotrafic et un manque criant d'effectifs sur le terrain.
Selon lui, la réalité vécue par les forces de l'ordre est bien plus complexe que ce que les chiffres peuvent suggérer, pointant du doigt des phénomènes de violence en pleine mutation et des réseaux criminels bien implantés.
Points Clés
- Une hausse de la délinquance impliquant des mineurs, souvent recrutés par les réseaux de drogue.
- La présence active de mafias, notamment la "DZ Mafia" et des organisations italiennes spécialisées dans le blanchiment d'argent.
- Un déficit sévère d'effectifs policiers dans des villes clés comme Menton et Nice, compromettant l'efficacité des enquêtes.
- Une critique de la réforme de la police judiciaire, accusée d'affaiblir la lutte contre le crime organisé.
Une Délinquance Juvénile en Pleine Expansion
L'un des constats les plus alarmants partagés par le syndicat concerne la nature de la délinquance. Elle est de plus en plus le fait de très jeunes individus, ce qui pose des défis inédits aux forces de l'ordre. La gestion de cette criminalité juvénile est particulièrement ardue en raison du cadre légal spécifique aux mineurs.
"On est face à une délinquance de plus en plus juvénile, et donc très compliquée à gérer", souligne Julien Hausknecht.
Le Narcotrafic, Premier Employeur des Jeunes Vulnérables
Le trafic de drogue est identifié comme un moteur majeur de cette tendance. Les réseaux criminels ciblent activement les jeunes, y compris ceux issus de parcours migratoires précaires, pour occuper des postes à bas risque mais essentiels à leur logistique.
Beaucoup de jeunes migrants, peu après leur arrivée, se voient proposer des rôles dans ces trafics. Les tâches varient :
- Guetteur : surveiller les alentours des points de vente.
- Chauffeur : assurer le transport de marchandises ou de personnes.
- Homme de main : effectuer des missions de petite logistique ou d'intimidation.
L'âge des recrues est particulièrement inquiétant. Des adolescents d'à peine 15 ans sont parfois retrouvés armés et profondément impliqués. Fait nouveau, "on voit même de plus en plus de jeunes femmes dans ces profils", ajoute le représentant syndical, ce qui témoigne d'une diversification des stratégies de recrutement des réseaux.
La Banalisation du Port d'Arme Blanche
En parallèle, le port du couteau devient un phénomène courant chez les adolescents. Ce qui peut être perçu comme un objet du quotidien devient une arme potentiellement mortelle dans un contexte de tensions. "Pour un adolescent dans un quartier, c'est une arme. Facile à dissimuler, mortelle", alerte M. Hausknecht. Cette banalisation contribue à une escalade rapide de la violence lors de conflits mineurs.
L'Emprise du Crime Organisé sur la Côte d'Azur
Au-delà de la délinquance de rue, la Côte d'Azur reste un territoire stratégique pour le grand banditisme et les organisations mafieuses. Le syndicat de police note l'implantation durable de certains groupes, comme la "DZ Mafia", dont l'influence s'étendrait jusque dans les établissements pénitentiaires.
Cette mafia, originaire de Marseille, a réussi à étendre ses activités et son influence, posant des défis sécuritaires majeurs non seulement dans la rue, mais aussi dans la gestion de la population carcérale.
La "Côte d'Usure" : Le Blanchiment d'Argent des Mafias Italiennes
La proximité avec l'Italie favorise également les activités des mafias transalpines. Leur principale activité sur la Côte d'Azur n'est pas tant le trafic visible que le blanchiment d'argent. La région, avec son marché immobilier dynamique et ses nombreux commerces de luxe, constitue un terrain idéal pour réinjecter des capitaux d'origine criminelle dans l'économie légale.
Julien Hausknecht évoque une expression parlante pour décrire ce phénomène : "La Côte d’Azur étant une terre d’investissement, on parle parfois de la ‘Côte d’Usure’."
Cependant, la lutte contre cette criminalité financière complexe aurait été affaiblie. Selon le syndicaliste, la récente réforme de la police judiciaire, qui a réorganisé les services d'enquête, a eu pour conséquence une perte de spécialisation. Ce manque d'expertise pointue rend plus difficile le démantèlement des réseaux financiers sophistiqués.
Des Effectifs Policiers au Bord de la Rupture
Le problème le plus concret et immédiat pour les policiers sur le terrain reste le manque d'effectifs. Cette situation touche l'ensemble du département des Alpes-Maritimes et affecte directement la capacité des forces de l'ordre à mener leurs missions.
Le Cas Critique de Menton
La ville frontalière de Menton est un exemple frappant de cette crise. Les effectifs du commissariat ont été réduits de près de moitié. "Ils étaient 143, ils sont aujourd'hui 74 dont 20 administratifs", détaille Julien Hausknecht. Cette situation est jugée "intenable" pour une ville qui doit gérer à la fois la délinquance locale et la pression migratoire à la frontière.
Nice et Cagnes-sur-Mer Également Touchées
Le constat est similaire dans d'autres villes. Cagnes-sur-Mer, souvent présentée comme une ville sûre dans les classements nationaux, connaîtrait une réalité de terrain bien différente selon les syndicats. La perception publique ne reflèterait pas les difficultés quotidiennes des policiers.
À Nice, la charge de travail est immense pour des équipes en sous-effectif. Le syndicat estime qu'il manquerait près de 80 enquêteurs pour traiter correctement l'ensemble des dossiers et couvrir le territoire de manière efficace. Ce déficit a un impact direct sur la qualité et la rapidité des enquêtes judiciaires.
Un Système Judiciaire et Carcéral en Question
Enfin, le représentant d'Alliance Police Nationale 06 exprime des doutes sur l'efficacité du système dans son ensemble, de l'enquête à l'incarcération. Il critique la tendance des autorités à communiquer sur la part des étrangers dans la délinquance, tout en appelant à la prudence : "Attention, il ne faut pas mettre tout le monde dans le même sac."
Selon lui, la prison, au lieu d'être un outil de réinsertion, agirait souvent comme un accélérateur de la carrière criminelle.
"On y entre pour de petits faits, on en ressort encore plus caïds."
Cette analyse suggère que l'environnement carcéral, loin de corriger les comportements délinquants, les renforcerait. Les jeunes délinquants y développeraient des réseaux et une culture criminelle plus affirmée, rendant leur réinsertion dans la société encore plus difficile à leur sortie.
