Un conflit financier majeur oppose le Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Nice et la Fondation Lenval, deux institutions de santé emblématiques de la ville. Le CHU réclame 24 millions d'euros d'impayés pour la mise à disposition de personnel médical, une situation qui a conduit les deux établissements devant le tribunal judiciaire de Nice.
Ce différend, qui dure depuis plus d'une décennie, met en lumière des tensions profondes sur la gestion de leur partenariat et l'avenir de la pédiatrie niçoise.
Les points clés de l'affaire
- Le CHU de Nice accuse la Fondation Lenval de ne pas avoir réglé 24 millions d'euros de factures entre juin 2024 et septembre 2025.
- Le litige concerne la rémunération de personnel médical mis à disposition par le CHU dans le cadre d'un Groupement de Coopération Sanitaire (GCS).
- La Fondation Lenval conteste les factures, demandant des justificatifs sur le travail réellement effectué par le personnel.
- Le CHU a demandé en justice la nomination d'un administrateur judiciaire provisoire pour gérer le GCS, invoquant un péril pour la qualité des soins.
- Une enquête de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) a été diligentée par le ministère de la Santé.
Une dette de 24 millions d'euros au cœur du litige
Le conflit entre le CHU de Nice, un établissement public, et la Fondation Lenval, un hôpital pédiatrique privé à but non lucratif, a atteint un point critique. Les deux entités sont liées depuis 2013 par un Groupement de Coopération Sanitaire (GCS), une structure permettant au CHU de fournir du personnel médical à Lenval.
Devant le tribunal judiciaire de Nice, l'avocat du CHU, Me Michel Montagard, a détaillé la situation. Selon lui, la Fondation Lenval n'a pas remboursé 24 millions d'euros de frais de personnel pour la période s'étalant de juin 2024 à septembre 2025.
Le CHU affirme que le non-paiement des factures a commencé lorsque Ronan Dubois, directeur général de la Fondation Lenval, a pris la tête de l'administration du GCS, un poste précédemment occupé par le directeur du CHU, Rodolphe Bourret.
Le GCS en chiffres
Le Groupement de Coopération Sanitaire est une structure juridique essentielle pour la collaboration hospitalière. Selon le CHU, il met à disposition de Lenval chaque année 140 médecins, personnels et internes. La Fondation Lenval conteste ce chiffre, l'estimant à seulement 60 personnes.
Des accusations croisées et une bataille juridique
La défense du CHU soutient que le refus de payer de la part de M. Dubois met en péril le fonctionnement du groupement et, par conséquent, « la qualité des soins et des patients ». Cette situation a poussé le CHU à demander la nomination d'un administrateur judiciaire provisoire pour sortir de l'impasse.
Le conflit a également attiré l'attention des autorités nationales. En mai, le ministère de la Santé a saisi l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) pour mener une enquête, dont les conclusions sont attendues d'ici la fin de l'année.
La réponse de la Fondation Lenval
La Fondation Lenval, par la voix de ses avocats, Mes Yannick Francia et Franck Thévenin, rejette fermement ces accusations. Ils expliquent que la direction de Lenval a simplement demandé des clarifications sur les factures présentées.
« Ronan Dubois pose des questions et on ne peut pas le lui reprocher quand on sait que des médecins du CHU facturés à Lenval travaillaient en fait à Monaco ! »
La défense de Lenval dénonce ce qu'elle qualifie de « coup bas », notamment un tweet du directeur du CHU affirmant que la santé des enfants serait en danger. Ils rappellent que leur établissement a vu toutes ses autorisations renouvelées, y compris pour les soins critiques.
David contre Goliath : deux modèles économiques opposés
L'avocat de la fondation, Me Yannick Francia, a présenté le conflit comme une lutte déséquilibrée. « Cette histoire, c’est David contre Goliath. Et le Petit Poucet, c’est nous », a-t-il déclaré.
Il a mis en perspective les moyens financiers des deux institutions :
- Le CHU de Nice : un budget annuel de 900 millions d'euros, avec une dette structurelle d'environ 40 millions chaque année, souvent prise en charge par l'État.
- La Fondation Lenval : un budget de 100 millions d'euros par an, financé par l'Agence Régionale de Santé (ARS) et des dons privés.
« Quand on reçoit une facture de plus d’un million d’euros par mois, comprenez qu’on ne paie pas sans justificatif ! », a insisté l'avocat. Il a également réitéré le désaccord sur le nombre de personnels, affirmant que les chiffres du CHU « déforment la réalité ».
L'origine du conflit : un accord de 2013
Selon la Fondation Lenval, les racines du problème remontent à l'accord de 2013 créant le GCS. L'objectif était de créer un grand pôle « femme-mère-enfant » à Lenval. La fondation estime avoir rempli ses engagements, comme la cession de la clinique Santa Maria pour un euro symbolique, tandis que le CHU n'aurait pas tenu toutes ses promesses.
Quel avenir pour la pédiatrie à Nice ?
Au-delà des chiffres, c'est « l’avenir de la pédiatrie niçoise » qui est en jeu, selon la défense de Lenval. L'échec de ce « mariage forcé » pourrait avoir des conséquences importantes sur l'organisation des soins pour enfants dans la région.
Malgré la tension, la Fondation Lenval se dit ouverte à une solution négociée. Ses avocats ont rappelé qu'une tentative de conciliation avait été lancée en janvier, mais avait échoué suite au refus du CHU d'y participer. « On pense que le devenir de la pédiatrie à Nice est le seul but. Il faut une nouvelle conciliation. On est ouverts ; c’est une main tendue », a conclu Me Francia.
La décision du tribunal judiciaire sur la nomination d'un administrateur provisoire est attendue pour le 10 novembre. Parallèlement, le tribunal administratif devra statuer sur le fond du litige financier d'ici la fin de l'année. En attendant, une assemblée générale devait réunir les deux partenaires, alors que Ronan Dubois s'apprête à quitter ses fonctions de président du GCS le 17 octobre.