Le procès de la sociologue franco-turque Pinar Selek, réfugiée à Nice et accusée de terrorisme par la Turquie, a de nouveau été reporté par un tribunal d'Istanbul. Cette décision, annoncée mardi, marque le sixième ajournement d'une procédure judiciaire qui dure depuis près de trois décennies.
La prochaine audience a été fixée au 2 avril 2026. Malgré ce nouveau délai, le mandat d'arrêt international réclamant une peine de prison à vie contre la chercheuse reste en vigueur, créant une situation juridique complexe et prolongeant l'incertitude pour Pinar Selek et ses soutiens.
Les points clés de l'affaire
- Le procès de Pinar Selek à Istanbul a été reporté pour la sixième fois.
- La nouvelle audience est programmée pour le 2 avril 2026.
- Un mandat d'arrêt international demandant la prison à vie est toujours actif.
- Interpol a refusé la demande d'extradition de la Turquie, un fait que la cour ne semble pas prendre en compte.
- La sociologue est poursuivie par la justice turque depuis 27 ans et a déjà été acquittée à quatre reprises.
Une audience expéditive et un nouveau report
L'audience de mardi au tribunal d'Istanbul a été particulièrement brève. Comme lors des reports précédents, la séance a été rapidement conclue, laissant les observateurs et les défenseurs de Pinar Selek sur leur faim. La décision de fixer la prochaine date en 2026 prolonge une saga judiciaire que beaucoup qualifient de persécution politique.
Depuis la France, où elle vit en exil, Pinar Selek a réagi avec détermination à cette nouvelle. Elle a dénoncé une manœuvre d'usure de la part des autorités turques, visant à la fatiguer et à démobiliser ses soutiens.
« Ils pensent me fatiguer. Mais ils n’arriveront pas à éteindre les lucioles. Le feu de la solidarité s’étend déjà, les braises se dispersent. C’est le pouvoir qui est en train de perdre », a-t-elle déclaré.
Ses paroles soulignent la force du réseau de solidarité qui s'est construit autour d'elle en France et à l'international, notamment à Nice où elle réside et travaille.
Le mandat d'arrêt international au cœur des débats
Un des éléments les plus préoccupants de l'affaire reste le maintien du mandat d'arrêt émis le 31 mars 2023. Ce mandat réclame une condamnation à la prison à perpétuité et une notice rouge auprès d'Interpol pour son extradition.
Le rôle d'Interpol
L'Organisation internationale de police criminelle (Interpol) a pour mission de faciliter la coopération policière internationale. Cependant, ses statuts lui interdisent d'intervenir dans des affaires présentant un caractère politique, militaire, religieux ou racial. C'est sur cette base que la demande concernant Pinar Selek a été rejetée.
Pourtant, la défense de la sociologue affirme que la situation est claire. Selon son avocat, Me Akin Atalay, Interpol a officiellement refusé de donner suite à la demande turque. « Interpol a bien refusé le mandat d’arrêt mais la cour ne l’a pas pris en compte », a-t-il expliqué. Ce refus d'Interpol, qui aurait dû clore le volet international de l'affaire, est simplement ignoré par la justice turque, qui continue de justifier les reports en attendant une réponse qui a déjà été donnée.
Une affaire qui dure depuis 27 ans
L'histoire judiciaire de Pinar Selek a commencé en 1998. Alors jeune chercheuse travaillant sur les mouvements féministes et la communauté kurde en Turquie, elle est arrêtée. Les autorités l'accusent alors d'être impliquée dans une explosion survenue au bazar aux épices d'Istanbul, qui a causé la mort de sept personnes.
Chronologie d'une persécution
- 1998 : Arrestation et accusation de terrorisme.
- 2000 : Libération après deux ans et demi de détention.
- 2006, 2008, 2011, 2014 : Quatre acquittements successifs par la justice turque.
- 2009 : Contrainte à l'exil, elle s'installe en France.
- 2023 : La Cour suprême annule son dernier acquittement et émet un mandat d'arrêt international.
Malgré l'absence de preuves matérielles la reliant à l'explosion et les rapports d'experts concluant à une fuite de gaz, les accusations ont persisté. Pinar Selek a été acquittée à quatre reprises, mais chaque acquittement a été systématiquement annulé par les plus hautes instances judiciaires turques, relançant sans cesse la procédure.
De nouvelles accusations pour maintenir la pression
Pour renforcer son dossier, l'accusation a ajouté un nouvel élément en juin 2024. Pinar Selek est désormais également accusée d'avoir participé en France à un événement organisé par le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), une organisation considérée comme terroriste par Ankara.
Cette nouvelle charge est perçue par ses soutiens comme une tentative de plus pour justifier un acharnement judiciaire qui n'a que des motivations politiques. La chercheuse, connue pour son engagement pacifiste et féministe, a toujours nié tout lien avec des activités violentes. Pour elle et son comité de soutien, ce procès interminable est une illustration de la répression exercée contre les voix dissidentes et les intellectuels en Turquie.