Une rencontre stratégique a réuni près d'une centaine d'experts-comptables et de commissaires aux comptes avec des représentants du parquet et du tribunal de commerce de Nice. L'objectif principal de cet événement, qui s'est tenu le 7 octobre au siège de la BPMed, était de renforcer la collaboration dans la lutte contre le blanchiment d'argent, la fraude fiscale et la prévention des difficultés des entreprises.
Cette initiative conjointe visait à ouvrir un dialogue direct entre les professionnels du chiffre et les autorités judiciaires, afin de clarifier les obligations légales et d'améliorer l'efficacité des dispositifs de surveillance financière sur le territoire.
Points Clés
- Une réunion a rassemblé près de 100 experts-comptables et représentants de la justice à Nice.
- Les discussions ont porté sur le blanchiment d'argent, la fraude fiscale et la prévention des difficultés d'entreprises.
- L'accent a été mis sur le rôle crucial des professionnels du chiffre dans la détection et la déclaration des opérations suspectes à Tracfin.
- L'approche de la rencontre a été qualifiée de "pédagogique" par le parquet, visant à accompagner plutôt qu'à réprimer.
Une collaboration inédite pour la transparence financière
L'événement du 7 octobre a marqué une étape importante dans les relations entre le monde judiciaire et les professions financières de la région niçoise. En réunissant des acteurs qui interagissent souvent par le biais de documents officiels, cette rencontre a permis de mettre des visages sur des fonctions et de fluidifier la communication.
Julie André, procureure adjointe au tribunal judiciaire de Nice, a souligné la nature collaborative de l'initiative. Elle a expliqué que l'idée venait d'un besoin partagé entre le parquet, le tribunal de commerce et les instances professionnelles des experts-comptables et commissaires aux comptes. Le but était de discuter de problématiques récurrentes observées tant dans les affaires pénales que dans les procédures commerciales.
Un dialogue direct et nécessaire
Jusqu'à présent, les interactions étaient principalement indirectes. "Nous voyons la comptabilité, les attestations faites par les experts-comptables, en somme, nous voyons les écrits de ces professionnels, et il est vrai que nous avons assez peu d’échanges en direct", a précisé Julie André. Cette rencontre a donc été l'occasion d'aborder de nombreux sujets de manière plus concrète et interactive.
Du côté des professionnels du chiffre, l'initiative a également été saluée. Alain Jacob, président de la Commission administrative, a reconnu l'importance de ce rapprochement. Bien que la profession soit régulièrement formée sur ses obligations, échanger directement avec le parquet permet de mieux comprendre les attentes des autorités judiciaires et de poser des questions pratiques.
Le blanchiment d'argent, une priorité locale
Une grande partie des échanges a été consacrée à la lutte contre le blanchiment de capitaux. Ce sujet est une préoccupation majeure pour les autorités, qui comptent sur la vigilance des professionnels en contact direct avec les flux financiers des entreprises.
Le rôle de Tracfin
Tracfin (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins) est le service de renseignement français chargé de la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Les professionnels assujettis, comme les experts-comptables, ont l'obligation légale de lui adresser une "déclaration de soupçon" lorsqu'ils identifient une opération financière qui leur paraît suspecte.
Julie André a rappelé que les professionnels du chiffre ont une responsabilité légale dans ce combat. Leur rôle ne se limite pas à la tenue des comptes, mais inclut une mission de surveillance active. L'obligation déclarative auprès de Tracfin est un pilier de ce dispositif.
"C’est une obligation légale pour les professionnels du chiffre d’être acteurs de cette lutte. Le parquet est en première ligne, puisque nous sommes à l’origine des enquêtes et des poursuites, mais les professionnels du chiffre ont aussi une responsabilité." - Julie André, procureure adjointe au tribunal judiciaire de Nice
Les questions de l'audience ont été nombreuses, portant notamment sur les critères qui doivent déclencher une déclaration de soupçon. Les participants ont cherché à savoir précisément quelles informations inclure dans un tel signalement et à partir de quel seuil de doute il devient nécessaire d'agir.
Une menace bien réelle sur le territoire
Damien Martinelli, procureur de la République de Nice, a insisté sur la dimension locale du blanchiment. Il a tenu à déconstruire l'image d'une criminalité financière qui n'existerait que dans des paradis fiscaux lointains.
"Le blanchiment, ce ne sont pas que des paradis fiscaux à Dubaï, ce sont aussi des choses qui se passent en local", a-t-il affirmé. Il a expliqué que la rencontre était une occasion de sensibiliser les experts aux modes opératoires spécifiques observés dans la région, afin qu'ils puissent mieux les détecter.
Prévention, fraude fiscale et pédagogie
Au-delà du blanchiment, d'autres thèmes essentiels ont été abordés, notamment la prévention des difficultés des entreprises et la gestion des cas de fraude fiscale.
Le rôle d'alerte des experts-comptables
Le fonctionnement du tribunal de commerce et les procédures de prévention ont été expliqués. Les intervenants ont rappelé que les experts-comptables sont souvent les premiers à détecter les signes avant-coureurs de difficultés financières chez leurs clients. Leur rôle est donc de sensibiliser les dirigeants d'entreprise à agir avant qu'il ne soit trop tard, en utilisant les outils de prévention offerts par le tribunal de commerce.
Une intervention précoce peut souvent permettre d'éviter une cessation de paiement et de préserver l'activité et les emplois. Cette mission de conseil et d'alerte est fondamentale.
La fraude fiscale et la position des conseillers
La question de la fraude fiscale a également été traitée, en particulier la situation des experts-comptables lorsque leurs clients sont mis en cause. Julie André a noté que les accusés tentent parfois de rejeter la responsabilité sur leurs conseillers financiers.
Elle a toutefois rassuré l'audience : "les services enquêteurs ne sont pas dupes". Même si un expert-comptable peut être entendu dans le cadre d'une enquête, cela reste une situation "assez rare". La justice sait généralement faire la part des choses entre un conseil de bonne foi et une éventuelle complicité.
Une démarche d'accompagnement plus que de répression
L'un des messages clés de cette journée a été la volonté du parquet d'adopter une posture pédagogique. Damien Martinelli a clairement distingué cette initiative de la mission répressive habituelle de l'institution judiciaire.
"Le parquet est dans la poursuite, il est dans la répression. Là, on est dans de la pédagogie et de l'accompagnement", a-t-il déclaré. Il a décrit la rencontre comme un moment d'échanges techniques et de sensibilisation, visant à construire une relation de confiance et de coopération.
Cette approche a pour but de rendre les professionnels du chiffre plus efficaces dans leur rôle de vigie, en leur donnant les clés pour mieux comprendre les enjeux et les mécanismes de la délinquance financière. En renforçant ce partenariat, les autorités judiciaires espèrent améliorer significativement la détection des infractions économiques et protéger plus efficacement le tissu économique local.