L'inauguration de l'extension de la promenade du Paillon à Nice a ravivé un débat crucial sur la sécurité de la ville face aux risques d'inondation. Alors que la mairie présente ce nouvel espace vert comme un rempart contre les crues dévastatrices du fleuve Paillon, des experts et des opposants politiques expriment de sérieuses inquiétudes, pointant du doigt un fleuve souterrain et des plans de prévention jugés obsolètes.
Points Clés
- La mairie de Nice affirme que la nouvelle coulée verte protégera la ville lors des crues du Paillon.
- Des critiques soulignent que le Plan de Prévention des Risques d'Inondation (PPRI) date de 1999 et n'a pas été révisé.
- Un expert en risques naturels met en doute l'efficacité du parc et rappelle le danger inhérent à la couverture d'un cours d'eau.
- Le débat porte sur la pertinence des aménagements en surface face au risque fondamental posé par le fleuve souterrain.
Un aménagement face à un risque historique
Le Paillon, ce fleuve côtier qui traverse Nice, est majoritairement recouvert depuis le XIXe siècle. Si cette couverture a permis l'urbanisation du cœur de la ville, elle a aussi dissimulé une menace latente. La mémoire collective a peut-être oublié, mais des simulations, comme celle organisée par la Ville en mai 2009, rappellent la réalité du danger : une crue majeure pourrait avoir des conséquences dramatiques.
C'est dans ce contexte que s'inscrit l'extension de la promenade du Paillon. Lors de son inauguration le 18 octobre 2025, le maire Christian Estrosi a présenté le projet non seulement comme un embellissement, mais aussi comme une mesure de sécurité essentielle. "Un jour, le Paillon débordera", a-t-il déclaré, ajoutant que "cette étendue végétale donnera de l’espace pour que l’eau puisse s’écouler sur une surface libérée, épargnant des vies humaines ainsi que des dégâts considérables."
Cette vision rassurante est cependant loin de faire l'unanimité. Pour certains, cet aménagement de surface ne résout en rien le problème de fond : la gestion d'un fleuve puissant contraint dans un tunnel sous la ville.
Le Paillon : un fleuve sous la ville
Le Paillon prend sa source dans l'arrière-pays niçois et se jette dans la baie des Anges. Sa couverture, réalisée par étapes, a permis la création d'espaces emblématiques comme la place Masséna et les jardins Albert Ier. Cependant, cette canalisation souterraine transforme le fleuve en une bombe à retardement potentielle lors d'épisodes de pluies intenses, fréquents dans la région.
La critique d'un plan de prévention dépassé
La principale critique émane de l'ancien élu municipal Robert Injey, qui alerte depuis des années sur ce qu'il nomme la "roulette russe" jouée avec le fleuve. Il conteste fermement les affirmations du maire, s'interrogeant sur les fondements scientifiques de telles déclarations.
Au cœur de ses préoccupations se trouve le Plan de Prévention des Risques d'Inondation (PPRI) de la zone Nice Paillon. Ce document officiel, qui encadre l'urbanisme en fonction des risques, est jugé totalement obsolète.
Un document vieux de 25 ans
Le PPRI Nice Paillon a été adopté le 17 novembre 1999, sur la base d'études datant de 1996. Il est considéré comme le plus ancien du département des Alpes-Maritimes, élaboré bien avant la prise de conscience généralisée des effets du changement climatique sur l'intensité des phénomènes météorologiques.
Robert Injey dénonce une "lenteur coupable" dans la révision de ce plan. Un arrêté préfectoral avait bien lancé le processus en mars 2020, mais face aux retards imputés à la ville, un nouvel arrêté a dû être pris le 14 janvier 2025. "Où en sont les études sur les risques et les niveaux de submersion ?" questionne-t-il, déplorant que ce retard repousse les décisions cruciales pour la sécurité des habitants.
Il pointe également des incohérences dans les choix d'aménagement. "Pourquoi détruire le TNN et Acropolis en laissant le lycée Apollinaire et le palais des expositions, les deux bâtiments les plus exposés en cas de submersion ?" s'interroge-t-il, rappelant que la demande de déplacement du lycée par le maire en 2023 se basait sur une étude jamais rendue publique.
La parole de l'expert : "Une rivière, il ne faut pas la boucher"
Au-delà du débat politique, les spécialistes des risques naturels apportent un éclairage technique qui tempère l'optimisme des aménageurs. Thomas Lebourg, professeur d'université et spécialiste des risques naturels, exprime ses doutes sur l'efficacité réelle de la coulée verte pour contenir une crue majeure.
"À partir du moment où un cours d’eau est enterré, il y a un risque. Une rivière, il ne faut pas la boucher, ne pas construire dessus, ne pas rouler dessus", explique Thomas Lebourg.
Selon lui, la véritable problématique n'est pas tant l'aléa naturel, qui existera toujours, que la vulnérabilité des populations et des infrastructures. "Il faudrait interdire de construire sur des zones à risques", insiste-t-il, jugeant que tout nouveau projet en zone urbanisée et à risque est une mauvaise idée.
Informer pour réduire la vulnérabilité
Plutôt que de compter sur des ouvrages dont l'efficacité reste à prouver face à un événement extrême, le professeur Lebourg préconise de se concentrer sur la préparation des citoyens. Il est essentiel de "donner les clés à la population pour réduire sa vulnérabilité".
Cette approche passe par des actions concrètes et du bon sens :
- Informer la population sur les risques réels et les zones concernées.
- Préparer les habitants à adopter les bons réflexes en cas d'alerte.
- Inciter les résidents des zones inondables à préparer une solution de repli.
- Rappeler les consignes de base, comme rester chez soi et ne pas tenter de braver les éléments.
Le débat niçois illustre un dilemme auquel sont confrontées de nombreuses villes. Faut-il privilégier des aménagements visibles qui rassurent l'opinion, ou s'attaquer aux problèmes structurels plus complexes et coûteux ? Pour le Paillon, la question reste ouverte, suspendue à la prochaine colère du fleuve.





