Au cœur du quartier de la Libération à Nice, la dernière cité marchande de la ville, la halle Raiberti, est au centre d'un conflit majeur. Face à un état de délabrement avancé et à la colère des commerçants restants, la municipalité a annoncé son intention de lancer une procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique. La décision doit être examinée par le conseil municipal ce mercredi.
Points Clés
- La halle Raiberti, construite en 1920, est la plus ancienne cité marchande de Nice et se trouve dans un état de dégradation avancé.
- Seuls 6 des 20 stands commerciaux sont encore occupés, les autres commerçants ayant quitté les lieux.
- Les locataires accusent la propriétaire de négligence volontaire pour les pousser au départ et réaliser une opération immobilière.
- La Ville de Nice va proposer une déclaration d'utilité publique (DUP) pour exproprier le site et le réhabiliter.
Un patrimoine commercial en péril
Les Docks de la Riviera, plus connus sous le nom de halle Raiberti, représentent un pan de l'histoire commerciale de Nice. Érigée en 1920, cette structure est la dernière survivante des cités marchandes qui animaient autrefois la ville. Aujourd'hui, le spectacle est désolant. Les allées sont parsemées de locaux vides et éventrés, décrits par les habitués comme des scènes de désolation.
Sur la vingtaine de cellules commerciales disponibles, seules six sont encore en activité. Un traiteur asiatique, une boucherie, une boulangerie et un traiteur créole ont récemment baissé le rideau, laissant un vide immense et une clientèle qui se raréfie. Les commerçants qui résistent décrivent une situation intenable.
Chiffres de la crise
La halle compte actuellement 14 locaux commerciaux vides sur 20, soit un taux d'inoccupation de 70%. Cette situation fragilise l'ensemble de l'écosystème du marché.
Des loyers jugés excessifs face à la dégradation
Le mécontentement des commerçants est palpable. Ils dénoncent des conditions de travail difficiles et des loyers qu'ils estiment disproportionnés par rapport à l'état des lieux. Jérôme, le poissonnier, indique payer un loyer mensuel de 1 450 euros. Il souligne une concurrence difficile avec le marché extérieur de la Libération, où les emplacements sont nettement moins chers.
« Sur le marché de la Libé, ils payent une centaine d’euros l’emplacement, et ils ont un toit et l’eau courante, comme nous. Comment voulez-vous qu’on rivalise ? »
Brandon, vendeur de champignons, exprime un sentiment d'abandon. Selon lui, les promesses de travaux de la propriétaire restent sans suite, aggravant la décrépitude du site et faisant fuir les clients. Les demandes de réduction de loyer se heurteraient à une fin de non-recevoir.
La bataille juridique et l'intervention de la mairie
La situation a pris une tournure judiciaire pour plusieurs commerçants. Incapables de payer leurs loyers, certains font face à des procédures d'expulsion. Leur avocat, Maître Philipe Boufflers, prépare leur défense pour une audience prévue le 13 novembre au tribunal judiciaire. Il plaide que l'effondrement de leur chiffre d'affaires est directement lié à l'inaction de la propriétaire.
Qu'est-ce qu'une Déclaration d'Utilité Publique (DUP) ?
La DUP est une procédure administrative qui permet à une collectivité publique (comme une mairie) d'exproprier un propriétaire privé d'un bien immobilier, moyennant une juste et préalable indemnité. Cette action doit être justifiée par un projet d'intérêt général, comme la réhabilitation d'un site patrimonial ou la redynamisation d'un quartier.
L'avocat soupçonne une stratégie délibérée. « J’ai l’intime conviction que la propriétaire laisse mourir le truc pour faire une opération immobilière », affirme-t-il, qualifiant les méthodes de « poutinesques ». Selon lui, le bailleur a une obligation d'entretien qui n'est pas respectée, ce qui devrait être pris en compte par la justice.
La réponse de la Ville de Nice
Face à cette situation, la municipalité de Nice a décidé d'agir. Le maire, Christian Estrosi, a annoncé l'intention de la ville de reprendre en main le dossier des Docks. Le 2 septembre, le premier adjoint, Anthony Borré, a adressé un courrier à la propriétaire pour dénoncer « l’absence de projet pour redynamiser le site ».
Ce mercredi 1er octobre, une délibération sera présentée au conseil municipal. Elle vise à approuver le lancement d'une déclaration d'utilité publique pour expropriation. Le texte met en avant « l'intérêt patrimonial certain » de la halle et son rôle dans « l'animation du quartier de Libération », un secteur en pleine mutation que la ville souhaite soutenir.
La propriétaire conteste les accusations
Contactée, la propriétaire de la halle, Françoise Boutry-Orengo, petite-fille du fondateur, offre une version différente des faits. Elle affirme ne pas avoir reçu le courrier de la mairie et avoir appris le projet d'expropriation par la presse. Sur l'état du site, elle assure que des travaux sont en cours et qu'elle attend des devis pour de nouvelles interventions.
Elle réfute également les accusations de vouloir vider le marché. « Des locataires vont rentrer, certains sont partis parce qu’ils ne payaient plus le loyer », déclare-t-elle. Concernant les plaintes sur le montant des loyers, sa réponse est sans équivoque :
« En France, tout le monde se plaint, tout le monde pleure, donc on est dans la continuité de ces gens-là. Certains travaillent très bien, mais c’est comme au niveau national, on entend toujours les mêmes. »
Un point sensible complique le dossier : la gestion locative de la halle est assurée par l'agence Mercier, dirigée par Franck Martin. Ce dernier est également l'adjoint au Commerce du maire Christian Estrosi. Il intervient dans ce dossier en tant que professionnel de l'immobilier, une double casquette qui soulève des questions sur d'éventuels conflits d'intérêts.
L'issue de la délibération du conseil municipal sera déterminante pour l'avenir de ce lieu emblématique de Nice. Les commerçants restants espèrent une intervention rapide qui leur permettra de préserver leur activité et de redonner vie à la halle Raiberti.